Sweet Paprika

Le 8 février dernier, Glénat sortait en hors collection Sweet Paprika, une BD d’un genre un peu spécial, par Mirka Andolfo, autrice et dessinatrice italienne assez peu connue chez nous, mais possédant pourtant un CV plus qu’alléchant puisqu’elle a travaillé chez Marvel, DC Comics et Dynamite, où elle a mis en scène de nombreuses héroïnes comme Ms Marvel, Harley Quinn, Wonder Woman ou encore Red Sonja. Ce n’est donc pas une surprise si Sweet Paprika, premier volume d’un triptyque, met en scène une jeune démone qui va devoir lutter contre elle-même afin de découvrir qui elle est réellement.

"Sweet Paprika" couverture

La démone de mes nuits

Un conte des temps modernes.

Paprika, jeune diablesse énergique et déterminée vivant à New York est une accro du boulot rêvant de faire carrière. Et l’avenir lui sourit ! Sauf que derrière ce redoutable bourreau de travail se cache une âme fragile au bord du gouffre dont la vie sociale et amoureuse est un désert. Jusqu’à ce que Dill, un beau garçon exubérant et un peu naïf, ne vienne tout chambouler avec son apparence « angélique » et bientôt pousser Paprika à se confronter à ses désirs. Cette rencontre piquante va surtout permettre à notre héroïne de prendre conscience du masque social qu’elle porte depuis trop longtemps. Mais ce long chemin d’introspection infernale s’annonce surtout pavé d’épisodes aussi sexy que cocasses.

La star italienne Mirka Andolfo poursuit son parcours d’autrice éclectique avec cet album à mi-chemin entre Le Journal de Bridget Jones et Le Diable s’habille en Prada. Ce conte de fées contemporain, bourré d’humour et à la sensualité assumée, ravit par son style graphique aux influences manga et comics, énergique et moderne.

Glénat
"Infernum Press" le royaume de l'éditrice
© 2020-2021 Mirka Andolfo, Arancia Studios s.n.c., © 2023 Éditions Glénat

Sweet Paprika nous replace dans un monde connu, puisqu’il s’agit en fait du nôtre. Seulement voilà, New York, Paris et Milan ne sont désormais plus peuplés que d’anges et de démons qui cohabitent en bonne intelligence. C’est dans cet environnement que nous faisons la connaissance de Paprika, Directrice de la création chez Infernum Press. Cette working girl intransigeante, tant pour elle-même que pour ses collaborateurs, semble promise à un grand avenir professionnel. Mais cette image parfaite n’est réelle qu’en apparence, puisque Paprika est en fait un être névrosé et solitaire, sans amis, ni aucune vie sociale.

"Paprika" l'héroïne est un exemple de réussite professionnelle
© 2020-2021 Mirka Andolfo, Arancia Studios s.n.c., © 2023 Éditions Glénat

Cette façon de vivre elle la doit à un père autoritaire et parangon de vertu qui l’a toujours bridée, au point de l’avoir conduite à préférer un célibat forcé, après sa rupture compliquée avec le prétendant approuvé par l’autorité paternelle. Seulement quand son juge de papounet fait un infarctus, la belle diablesse va se rendre compte que celui-ci est loin d’être aussi irréprochable qu’elle l’a toujours cru. Suite à ces révélations fracassantes, la cheffe d’édition va se donner un nouveau but : se révéler à elle-même et en finir avec ses démons intérieurs. Et pour ce faire quoi de mieux que répondre à l’appel de l’amour lancé par Za’atar, producteur de l’adaptation du best-seller découvert par notre héroïne : “Spice it up !”.

"Dill" est un livreur au grand coeur qui exaspère l'héroïne
© 2020-2021 Mirka Andolfo, Arancia Studios s.n.c., © 2023 Éditions Glénat

Mais le changement est souvent difficile et angoissant, surtout pour Paprika qui ne peut compter sur personne d’autre qu’elle. Du moins c’est ce qu’elle croit avant de trouver une aide non négligeable en la personne de Dill, un livreur angélique adepte de l’amour libre et homme à femme autoproclamé, qui cache lui aussi de profondes fêlures. En chemin pour trouver enfin le bonheur, Paprika va se heurter à la jalousie de certains de ses collègues, mais également à celle de son écrivain à succès Burnet, auteur de “Spice it up !” qui s’avère être l’ex de la démoniaque éditrice.

Découvrez un extrait de Sweet Paprika ici !

La diablesse s’habille en Prada

Tout le monde est à la botte de la cheffe dans "Sweet Paprika"
© 2020-2021 Mirka Andolfo, Arancia Studios s.n.c., © 2023 Éditions Glénat

Avec un style graphique à mi-chemin entre le manga et le comics, Mirka Andolfo a l’art de rendre ses personnages extrêmement réalistes dans leurs réactions, même si le fait de peupler son univers d’anges et de démons lui permet de mettre en scène des comportements plus que surjoués, notamment lorsque Paprika entre dans une colère noire et se transforme en être hybride ayant une ressemblance frappante avec un serpent. En tant qu’autrice, on sent Mirka est extrêmement proche de son sujet et même si Sweet Paprika se veut une série optimiste et humoristique, cela ne l’empêche pas de traiter de sujets plus profonds comme la solitude, le décalage entre l’image qu’on renvoie aux autres et ce que l’on est vraiment et la difficulté de se défaire d’une éducation rigide et contraignante.

En colère, Paprika se transforme dans "Sweet Paprika"
© 2020-2021 Mirka Andolfo, Arancia Studios s.n.c., © 2023 Éditions Glénat

La mise en scène est réellement très dynamique, alternant entre décors ultra-fouillés et cases centrées uniquement sur les personnages. On s’amuse beaucoup, mais on s’interroge d’autant plus, allant jusqu’à spéculer sur nos réactions à la place de Paprika. Une petite mise en garde toutefois, Sweet Paprika est bourré de scènes érotiques beaucoup plus épicées que ce que laisse présager son titre, la thérapie de l’héroïne passant également par un apprentissage intensif du sexe, sujet qui lui est inconnu et surtout source de traumas. Ce n’est donc pas un ouvrage à mettre entre toutes les mains, ni devant tous les yeux.

L’ingrédient secret ? Du Paprika, beaucoup de Paprika…

Contre toute attente, moi qui ne suis pas une grande adepte des histoires d’amours, je dois reconnaître que j’ai été assez charmée par cette chère Paprika et son aventure olé olé ! Plus sérieusement, la finesse d’écriture de Mirka Andolfo m’a conquise, car ce que je prenais pour une petite histoire au propos léger, juste prétexte à l’érotisme se révèle bien plus que ça. On est ici dans un récit profondément féministe, sans que cela ne soit pour autant trop manichéen. La dessinatrice ne tombe jamais dans le travers d’opposer trop violemment les hommes et les femmes et l’on s’aperçoit vite que les torts (et les méchants) se trouvent des deux côtés de la barrière.

Il vaut mieux ne pas faire ce genre d'erreur dans "Sweet Paprika"
© 2020-2021 Mirka Andolfo, Arancia Studios s.n.c., © 2023 Éditions Glénat

À mon avis, l’une des forces de Sweet Paprika, c’est qu’il peut parler à toutes les femmes, chacune de nous pouvant se reconnaître (jusqu’à un certain point) dans l’héroïne et dans son vécu. Je n’exclus pas non plus ces messieurs, qui auront moult raisons d’aimer cette histoire, même si j’ignore si elle résonnera aussi profondément en eux. Ce que je leur souhaite cela dit ! J’ai adoré suivre la quête d’émancipation de l’éditrice numéro un d’Infernum Press, pour laquelle j’ai ressenti une énorme empathie. Au fil des pages, elle m’a entraîné avec elle pour des moments de franche rigolade, de tendresse et d’empathie face à sa détresse. Finalement, refermer Sweet Paprika, c’est comme dire au revoir à une amie après une journée de shopping débridé. C’est un peu triste, mais on espère se revoir très vite.

Confondre la cheffe avec une assistante est malvenu dans "Sweet Paprika"
© 2020-2021 Mirka Andolfo, Arancia Studios s.n.c., © 2023 Éditions Glénat
Pour conclure…

Sous couvert d’une intrigue assez légère et enlevée, saupoudrée d’une bonne dose d’érotisme, Sweet Paprika soulève en fait de nombreux thèmes très actuels comme la capacité à trouver un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, la difficulté de s’ouvrir aux autres quand on a été trahi ainsi que la complexité inhérente à un changement profond. Mais ne vous y trompez pas, si Sweet Paprika est destiné à un public averti, son humour et le graphisme séduisant de Mirka Andolfo en font un excellent conte de fées moderne, et je me demande bien de quoi va traiter la deuxième partie du triptyque ainsi amorcé. En tout cas, j’espère sincèrement y retrouver l’attendrissante et fragile Paprika.

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